Et si la pyramide de Bird était plus trompeuse que ce que vous imaginiez ? Si vous êtes dans le SST ou la QHSE, vous avez déjà dû entendre l’idée suivante : en se fondant sur le principe de Bird, la diminution des presque accidents entraînera de façon mécanique la baisse du risque d’accident grave. Grâce à cette stratégie de prévention des risques, les accidents graves arriveraient beaucoup moins régulièrement, voire plus du tout… Mais, concrètement, est-ce aussi simple d’atteindre le “zéro accident” ? Et si cette représentation induisait un biais dans notre réflexion sur les risques ?

1. Le triangle accidents-presqu’accidents-incidents

Pour commencer, saviez-vous que l’inventeur de la pyramide des risques n’est pas Bird ? Elle trouve pourtant ses origines plus loin dans notre histoire… En effet, le premier à réfléchir les risques sous l’angle d’une pyramide n’est autre qu’Herbert William Heinrich.
Ce pionnier de la sécurité industrielle a mené une étude dès 1931 sur la prévention des accidents dans le milieu industriel, étude dont les résultats paraissent dans son livre Industrial Accident Prevention, A Scientific Approach. Dans cet ouvrage, Heinrich nous délivre une théorie qui sera un des piliers de la réflexion dans le domaine de la prévention des risques : il s’agit du fameux triangle des accidents-presque accidents-incidents.

Le principe est simple : pour tout accident ayant des conséquences majeures, il existe un plus grand nombre d’accidents avec des conséquences mineures et un nombre encore plus important d’accidents sans aucune conséquence. Heinrich insiste sur l’idée qu’il ne faut pas attendre les accidents aux conséquences graves, mais plutôt réagir sur les presque accidents.
Selon lui, « nous détournons trop souvent nos efforts (de sécurité) et ignorons des données précieuses » (Heinrich, 1929b, p.9) et attendons que le « grand événement » se produise pour prendre ensuite les mesures nécessaires. On retrouve dans sa réflexion la notion de risque, sans qu’il n’y fasse directement allusion.

« L’importance de tout accident individuel dans le travail de prévention réside dans le pouvoir potentiel de créer des blessures et non dans le fait qu’il y en ait effectivement ou pas » (Heinrich, 1929b, p.10).

2. Bird, la reprise de la pyramide

Après avoir conduit, en 1969, une étude pour la compagnie d’assurance Insurance Company of North America, Franck E. Bird Junior vient compléter le travail de Heinrich avec de nombreuses données. En effet, l’étude est menée sur plus de 1 753 498 accidents déclarés par 297 entreprises, appartenant à 21 groupes industriels différents, qui employaient près de 1 750 000 personnes durant la période étudiée.

À partir de ces données, Franck Bird est parvenu à construire un modèle et a catégorisé les événements anormaux survenus dans les entreprises, selon une échelle de gravité croissante. Les résultats sont ceux que l’on connaît par cœur en prévention des risques et qui constituent la fameuse pyramide des accidents. Ainsi, sur 641 situations anormales :
• 600 sont des presque accidents ou des incidents (near misses/incidents) ;
• 30 sont des accidents avec dégâts matériels (property damage accidents) ;
• 10 sont des accidents avec des blessures légères (minor injuries) ;
• 1 est un accident grave (serious accident).

 

La représentation de Bird présuppose donc un rapport constant entre la base et le sommet de celle-ci, soit entre les presque accidents et les accidents graves. Par ailleurs, elle sous-tend une base encore plus large de « comportements à risque » qui sont d’autant plus difficiles à quantifier qu’ils sont difficiles à documenter.

La logique qui en découle en prévention des risques est assez simple à comprendre. L’idée est de traiter en priorité les événements les moins graves, dans l’espoir de supprimer totalement les plus graves, voire de traiter les « comportements à risque » pour éviter les accidents mortels. Pourtant, de nombreux exemples nous montrent que le rapport n’est pas aussi évident. Par exemple, en France, entre 2003 et 2016, on a pu observer une baisse des accidents de 50 % pour la métallurgie et de 20 % pour le BTP, alors que les accidents mortels ont stagné pour les deux.

On se rend alors bien compte que, même avec l’évaluation du risque telle qu’on l’a défini dans le D.U. qui prend en compte à la fois la gravité et la fréquence des accidents, on néglige les événements avec un haut potentiel de gravité. Le point de départ de la réflexion étant statistique, il met de côté l’événement rare qui est l’événement dramatique.

Les événements, dont la probabilité d’occurrence est proche de 0 et qui pourraient être potentiellement des accidents très graves, doivent pourtant faire l’objet d’une collecte et d’une analyse complémentaire à celle des presque accidents. En effet, la question posée derrière ces incidents est, en vérité, celle de l’identification des événements initiateurs, ceux que l’on retrouve à la base des arbres des causes et qui initient les séquences accidentelles majeures. Alors comment identifier et analyser les événements à haut potentiel de gravité ? Réponse la semaine prochaine dans le dernier article de notre tryptique sur la notion de risque.

FICHE PREVENTION ANALYSE ACCIDENT